“La façon dont on se nourrit décide du monde dans lequel on vit .” Tout est dit dans cette phrase de Bruno Verjus, cuisiner autodidacte.
Au gré de nos chemins, nous avons toujours été nourri au berceau poétique, sauvage et mystérieux que nous offre la nature. Cuisiner, c'est ne jamais quitter les yeux du vivant.
Dans cette lettre, nous allons vous convier à une dégustation bien spéciale. Celle de nos dîners vivants… ou plutôt les coulisses de ces dîners.
Nous allons vous montrer un aperçu de ce que nous avons dans notre tête et la manière dont nous voyons nos dîners…comme une fenêtre sur des mondes sauvages. Nous allons vous immerger dans des histoires qui vont vous agiter d’autres saveurs, comme rentrer dans une autre dimension.
Vous êtes prêts à vous laisser surprendre, à retrouver un souvenir au bout de la fourchette, le frisson de goûter pour la première fois un produit naturel ? C’est le coup d'envoi du repas !
Nos menus abritent un monde luxuriant de vie, pour qui prend le temps d’en goûter les histoires.
La nourriture est très puissante, très émotionnelle. Nous adorons se connecter à elle, cette matière première respectueuse de la terre, du vivant…et surtout nous sommes sensibles à la magie de ses histoires.
Ces plats sont à volonté. Vous pouvez vous resservir à votre guise. Les histoires sont encore meilleures réchauffées. Nous ne servons que des produits de saison et tous nos plats sont faits maison, concoctés par nos soins à partir de produits frais. Certains sont même servis très frais, tout juste cueillis aux branches des plus récentes histoires. D'autres ont été conservés depuis des millénaires. Il parait que cela se bonifie avec le temps. Tous les ingrédients de ce menu sont naturels et authentiques.
Nos repas s’étendent sur plusieurs actes, comme on ouvre un livre, où jouent des personnages, des plantes et des animaux. Dans chaque menu, des espèces se donnent la réplique.
Lors de la création d’un dîner, les voix s’entremêlent et nous transportent à travers le monde et les époques, dans le quotidien d’autres formes de vie, mais aussi des femmes et des hommes, qui partis à leur rencontre, ont ajouté leurs saveurs…dans le but ultime…se nourrir de l’énergie du vivant. Toujours. Voici notre manière de penser et de voir le monde.
Pour nous, la cuisine est l’art de transformer en joie, en énergie, des produits chargés d’histoires.
Et quelles histoires !
Quand les plantes nous racontent des salades, on ne les écoute pas souvent. Il faut dire que leurs histoires sont bien différentes des nôtres. Tout se transmet par des saveurs. Pour qui prête un peu d’attention en croquant une bouchée d’une salade. On apprécie l’ensemble mais sans y chercher de signification particulière. Comme si cela ne voulait pas dire grand chose.
En vérité, les goûts ont du sens.
Par leur goût, les plantes nous racontent leurs histoires, leurs terroirs, leurs liens…
Dans notre salade de pourpier, rocca, tomates… on feuillette quelques pages du livre du vivant, du bout de la fourchette.
Et là, une tomate datterino nous fait de l’oeil. Cette petite tomate en forme de doigt, est craquante, fraîche, suave et très sucrée. On en a rarement conscience mais le goût sucré est très présent dans les salades.
La relation aux végétaux doit être bénéfique à tous. Quand on cueille, on ne tue pas la plante. Elle le sait et nous le rend bien. Par son goût sauvage et intense.
Notre salade montre des amitiés pionnières. Si nous rajoutons des tranches d’avocats et quelques grains de poivre noir, ces plantes sont directement issus des plus anciennes familles de plantes à fleurs. Le laurier sauce aussi fait parti de ces lignées ancestrales, qui rampant dans des fourrés préhistoriques, ont fait débuter la relation fusionnelle entre les bêtes et les plantes.
Et en un rien de temps, tout bascula. La Terre connut enfin des printemps avec des fleurs et des insectes. Et pour mieux séduire ces animaux, les plantes se mirent à ajouter à leurs fruits une saveur douce et inédite. Notre attirance du sucré vient de là. C’est le gage d’amitié des plantes.
Si nous sommes patients, une autre saveur entre en scène : l’umami. Les tomates séchées en regorgent. Ce condensé de saveur est juste dingue. Tout vient à point à qui sait attendre.
A l’inverse, si nous montrons des signes d’impatience, les plantes nous l'expriment à travers l’acide. Pour qui ramasse le fruit trop tard, ce sera la même expression d’aigreur. Le fruit fermenté sera lui aussi acide.
Cependant, l’acidité sait aussi se faire agréable. Un trait de citron, de verjus, de vinaigre apporte un frisson parfait à notre salade.
Puis tout à coup, embusquée derrière un brin de rocca, l’amertume surgit sans crier gare. Cette saveur traduit la lutte de la plante. Car les prédateurs sont partout dans la nature. Et incapables de se sauver en prenant leurs racines à leur cou, elles n’ont d’autres choix que de lutter. Et leur arme, c’est l’amertume. Calibrée pour mettre K.O les insectes. Ce goût est d’ailleurs d’une immense richesse.
Dans notre salade, à côté des missiles de la rocca, les petites grenades de câpres ont bien leur place, comme l’armure épineuse du chou kale.
En plus des goûts, s’y ajoutent ensuite les textures, les sons, les températures, les souvenirs, les rêveries…toutes ces perceptions ont beaucoup à nous dire. Il suffit d’y goûter.
Mais revenons-en à nos petites tomates. Elles font parties de la famille des Solanacées, originaire d’Amérique du Sud. Cependant, à l’origine, les graines qui atterrissent dans notre région du monde par les oiseaux, prirent un tournant moins appétissant. Elles donnèrent des espèces dont le nom suffit à faire danser les sorcières, un ramassis de plantes maléfiques, tout juste bonnes à assassiner les empereurs ou à assaisonner des potions magiques. La Belladone, aux baies hautement toxiques et la Mandragore, aux effrayantes racines en forme d’humain. Et lorsque la tomate, à son tour, accosta en Europe, volée aux Aztèques par les conquistadors, la solanacée sèma la panique.
Pour les savants, il leur sembla évident qu’étant une solanacée, la tomate était forcément un poison. Une sauce tomate paraissait plus à craindre que l’arsenic. Cette “plante diabolique” était donc reléguée juste à orner les jardins de ses fruits colorés.
Cependant, sur les côtes méditerranéennes, les paysans.nes qui ne savaient pas lire les ouvrages des savants, goutèrent discrètement quelques tomates. Et ce fruit fut alors très vite adopté.
Dans notre cuisine du vivant, on ne remerciera jamais assez les insectes, à chaque repas. Sans eux, nous n’aurions en vérité presque rien à nous mettre sous la dent. Ils sont vitaux pour 90% des plantes à fleurs, assurant la pollinisation. Les cerises et les tomates n’existent que grâce à eux.
Dans leur symbiose, plantes à fleurs et insectes ont évolué simultanément, s’adaptant les uns aux autres pour former une incroyable diversité.
140000 espèces de mouches pollinisatrices, 250000 variétés de papillons et encore plus de coléoptères assurent notre survie, à coups de messages ailés. Une simple abeille visite jusqu'à 700 fleurs en une journée. Et elle met 40 jours (sa durée de vie) à produire l’équivalent d’une cuillère de miel. Certains insectes vont même plus loin. Spécialisés dans la pollinisation d’un seul type de fleur, ils nouent avec leur plante favorite des alliances rocambolesques, parfois au sacrifice de leur vie, reléguant aux placards les drames de Shakespeare et Racine.
Mais ça c’est une autre histoire…
Voir l’univers à fleur d’humus, retrouver le picotis des brindilles, la tiède morsure de l’ortie…on se retrouve intimement connecté au végétal, par une force presque spirituelle. Percevoir la forêt du point de vue d’une plante est un changement de perspective vertigineuse. Cela enrichit notre vision du monde. Désormais, un arbre ou un brin d’herbe n’est plus à nos yeux un être seul mais le maillon d’un système. Qui sait quelles discussions, quelles amitiés ont-ils liés entre eux ? Que se sont ils chuchotés au bout de leurs racines…?
Ramassez soi-même la garniture de sa propre tourte aux herbes est la façon la plus directe de ressentir notre place dans le grand réseau du vivant.
Cueillir, c’est prélever une partie d’un organisme vivant. On retourne alors à cet état primitif où la nature nous nourrit. De cette prise de conscience découle naturellement le respect et l’envie d'assurer la pérennité du cycle de la vie.
Car la diversité de la planète s'effondre. On le sait tous. Pendant que des monocultures s'étalent sur des pays entiers, les variétés locales s'éteignent les unes après les autres. Nous avons déjà perdu 75% de la diversité des plantes cultivées…et l’histoire qu'on a tissé avec eux s’efface, sans un bruit…
Alors, proposer une cuisine vivante, lors de nos dîners, est la pierre fondatrice de nos valeurs. Savoir ce que l’on mange, c’est la possibilité d’un choix plus responsable, mais aussi le plaisir d’une véritable expérience naturaliste…et découvrir des ribambelles d’existences étranges, quand on se penche sur l’histoire de nos assiettes.
Brut, dense, pur et vivant. Penser un plat comme un paysage.
Voilà, nous n’organisons pas un dîner juste pour assouvir l’appétit, ou pour le fun… tout est profondément réfléchi. Nous sommes tels des chercheurs, à l’image de ces botanistes-explorateurs, qui à l’époque des grandes découvertes, concevaient le menu du futur, à coup d’arrosoir. Presque tous nos plats transportent des souvenirs d’horizons dans leurs bagages.
Et surtout il nous est essentiel de nous nourrir de l’énergie du vivant. Avec ce rapport au vivant, on est sûr de transmettre de bonnes énergies et nous ne sommes faits que d’énergie. Cueillir un fruit et le manger à l’instant n’a pas le même goût qu’un fruit mangé deux jours après sa cueillette.
Cette cuisine vivante est intimement liée à la biodiversité, à cette agriculture respectueuse de la terre.
A chaque fois, c’est l’aliment qui nous fait. Ce n’est pas nous qui créons quelque-chose. C’est l’aliment, la saison qui décident pour nous.
C’est une autre logique de vie et d’alimentation, dans laquelle tout se renouvelle. On casse cette routine qui enferme. Et cela permet de prendre du recul tout en restant humble. La météo, l’environnement, tout fait que le goût change…et c’est à nous d’écouter l’aliment, cette nourriture et de composer avec. Cela nous invite à être dans la matière, à lire avec tous nos sens.
Ainsi, à l’image de la salade, le menu créé est complètement connecté à la nature et se fait au dernier moment, en fonction de ce que la terre a à nous offrir. Ces plats sont aussi comme nos pensées rendues réelles et une manière de voir la nourriture comme un moyen de voir le monde différemment…
Tapies au coin de l’assiette, les histoires, bien vivantes, ne demandent qu'à être écoutées. Si nous prêtons l’oreille à ce qui nous nourrit, la magie réapparaît. Voilà un premier pas vers le respect des espèces, vers une nouvelle histoire ensemble…
En attendant, si un shot de vivant vous tente, voici la recette de la salade!
Tomates marinées aux herbes et pesto d'herbes folles.
Couper en lamelles des tomates, les mettre à mariner avec les herbes et fleurs qui poussent ensemble…comme des tagètes, du tournesol, du basilic citron…Arroser d’un filet d'huile d'olive, une pincée de fleur de sel. Puis laissez mariner 15 minutes pour que les parfums se mélangent naturellement.
Pour la préparation du pesto, vous pouvez mixer ensemble 10 gr de persil, 10 gr de coriandre, 10 gr d’estragon, 10 gr d’aneth, 50 gr d’huile d'olive, 10 gr d’amandes et une pincée de fleur de sel. La texture doit être lisse.
Dans une assiette, étalez ce pesto. Déposez les rondelles de tomates marinées, la salade d’herbes sauvages et de fleurs marinées, quelques amandes entières torréfiées. Avant de déguster, parsemez d’un filet d'huile d'olive, de la fleur de sel, une lichette de poivre noir et quelques zestes de citron.
Et puis si l’appétit vous en dit, vous pouvez parsemer de quelques éclats préhistoriques, apparus il y a quelques 300 millions d’années. Des pignons de pin. Croquants et juste grillés. Des trésors, protégés sous la cuirasse d’une pomme de pin forgée pour résister aux assauts des animaux et des incendies. Allez, on se laisse tenter par cet arôme ambré…
Vos papilles sont prêtes à déguster…la fourchette va piquer…la corde du sensible va vibrer !!!
Voilà, lors de nos dîners, notre crédo est de bouleverser les banquets comme le quotidien, combler les estomacs et les esprits de régals encore inconnus…sans chichis, sans esbroufe, juste exalter le vivant…
A très vite !